Beaubourg le 12 juillet, à 14 heures, place Stravinsky.
Des ouvriers travaillent dans la fontaine et raclent des algues vertes. Des enfants jouent au ballon, des touristes se reposent sur les marches, l'air est lourd et moite.
Sur les manches à air, des collages bigarrés. Une femme, un serpent multicolore, un grand collage géométrique de Zokatos, plus loin encore une femme aguicheuse en noir et blanc, un portrait coloré... Le mur est peint à l'extincteur et orné par deux gigantesques collages.
Un homme arrive, déploie sur le sol un immense papier kraft peint. On y voit dans une voie lactée des silhouettes fantômatiques dégringoler d'un ciel laiteux et moucheté de couleur.
Il prend la mesure des colonnes, il déchire le grand panneau et trois et se met au travail, en encollant le fond, et en plaçant soigneusement le papier pour ses raccords.
Les touristes et les passents le regardent, intrigués, puis amusés et mitraillent la scène.
Des policiers passent, deux, puis quatre. Ils regardent l'artiste et passent leur chemin, tranquillement.
Deux jeunes filles s'approchent des colonnes en prenant des photos en premier plan. Des portraits d'elles, et des photos des collages. L'artiste raccorde le deuxième lé et encolle pour terminer son oeuvre.
C'est alors qu'arrive un type en bleu avec un téléphone, qui fonce vers les deux minettes et leur dit : "vous n'avez pas le droit de prendre des photos, c'est privé".
Les filles un peu surprises s'éloignent un peu.
Puis déboulent trois ou quatre vigiles vétus de vert-kaki-sapin en costume... ils prennent le colleur en tenaille et lui demandent s'il a l'autorisation de coller... puis ses papiers.... et d'arracher "tout ça". Il refuse d'arracher et demande cinq secondes pour prendre des photos.
Non. C'est privé.
Les vigiles font le tour des colonnes et découvrent les autres collages. Indignés ils commencent à arracher. Bien entendu, c'est sec, et la colle tient.
Ils s'acharnent alors à plusieurs pour écorner les collages.
C'est le massacre. Les vigiles arrachent des lambeaux de papier qu'ils jettent par terre. Des jeunes gens assis sur les marches se mettent à leur crier des insultes, une dame accoudée à la rembarde hoche la tête "c'est à pleurer".
Le colleur écoeuré parlemente avec le gars en bleu qui le traite de vandale : "alors vous, vous iriez taillader la Joconde?"
Le vigile répond, goguenard : "on y a bien pensé, mais elle est trop loin" (sic).
Voilà.... les affiches sont lacérées, c'est lamentable, les vigiles rentrent chez eux en disant "nous on ne fait que notre travail...". L'artiste s'éclipse, les touristes regardent le massacre bouche bée. Un jene papa qui promène son enfant dit "Je savais que c'était de l'art éphémère, mais à ce point...". Les minettes prennent des photos des oeuvres rescapées, les gosses reprennent leur match de foot.
Bien entendu, l'affichage illégal est interdit. Mais peut-on empêcher des artistes de s'exprimer? Avez-vous regardé la beauté et la créativité des oeuvres? On nous impose des affiches, des pubs, des placards publicitaires sous prétexte que c'est légal, on souille les paysages urbains de slogans et de messages de consommation. L'artiste colleur ne dégrade rien, c'est collé, ça se décolle à l'eau...
Vandales? Qui est le vandale ici? celui qui crée un oeuvre d'art éphémère et l'intègre dans un paysage urbain ou celui qui lacère et laisse un mur dévasté où des lambeaux de papier pendouillent dans le vide?